Adelphité Bruxelloise : Aurélie Mulowa
“Qui peut prétendre militer sans prendre position”



Aurélie Mulowa ©Raisa Wehrlin

Pour la première interview d’Adelphité Bruxelloise, j’aimerais vous présenter Aurélie Mulowa. Une femme inspirée et inspirante que j’ai eu la chance de rencontrer en mai dernier. Elle m’a présenté Entreprenoires, son “bébé” comme elle l’appelle, mais on a aussi parlé d’émancipation économique, de racisme institutionnel et d’un lieu incontournable à Bruxelles.

Femme belge de 30 ans, née à Bruxelles, Aurélie a des parents d’origine Congolaise. Après des études de communication à l’IHECS, elle est devenue responsable communication et communauté pour le Start Lab ICHEC en 2018. Il y a deux ans, en plein covid, elle lance la plateforme Entreprenoires.

Juillet 2022 ◊ Par Mélanie ◊ lire, entretien, adelphité, dossier4


Comment présenterais-tu Entreprenoires à quelqu'un.e qui ne connaît pas ta plateforme ? Quelle est sa mission ?

En général, je dis que c’est une plateforme qui met en avant les femmes noires entrepreneures mais je sais que pour certaines personnes, cela s’associe à du “communautarisme”. Du coup, j’explique que c’est un réseau de promotion de l’entreprenariat afrobelge féminin. “Afrobelge féminin”, ça passe mieux que “femmes noires” bizarrement. Je dis souvent que la non mixité d’Entreprenoires, c’est un moyen mais pas une fin, c’est un moyen d’être spécifique et de pouvoir mieux répondre à des problématiques. Le but n’est pas d’être dans l’exclusion et de rester qu’entres femmes noires, d’être dans le replis. J’ai constaté que les femmes noires sont sous-représentées alors qu’elles font quand même vivre une partie de l’économie du pays et qu’elles ont de chouettes idées à proposer. J’en parle comme un catalyseur d'opportunité car pour elles, c’est aussi l’occasion de se rencontrer et de collaborer.


Tu as créé ta plateforme en 2020 en plein covid. C’était une période très compliquée pour le monde entier. Une période pendant laquelle le mouvement “Black Lives Matter” (BLM) a pris énormément d'ampleur aussi; est ce que ce contexte particulier a été un déclencheur ou plutôt un frein à ton lancement ?

Une émotion que j’aime bien car, quand elle est bien dirigée, elle est motivante, c’est : la colère. Je suis une révoltée, je suis tout le temps énervée et pourtant je rigole tout le temps. J’ai commencé mon parcours militant féministe et antiraciste avant le mouvement “BLM”. Après, dans mon parcours professionnel, je me suis souvent dit : “mais ce n’est pas possible que je sois à chaque fois la seule personne noire dans la pièce”. Pendant le covid, avec une amie, on a voulu faire un live avec “La diaspora chuchote” (webmédia francophone traitant l'actualité sous un angle afrocentré) pour parler des problématiques que rencontrent les femmes noires et surtout pour leur donner de la force et de l’amour. Après le live, je trouvais ça dommage que tout cela disparaisse donc j’ai décidé de lancer la page Instagram Entreprenoires.


Le thème abordé dans notre dossier est l’émancipation, est-ce que l’émancipation économique, notamment par l’entreprenariat, est vitale selon toi pour les femmes noires et racisées en général ?

Bien sûr ! C’est d’autant plus une nécessité car on subit le patriarcat et le racisme.

Je pense à Maya (cfr interview Océane et Angelica) par exemple, qui me disait que quand elle avait voulu lancer sa boutique et qu’elle avait été auprès des banques : elle essuyait refus sur refus. Elle m’a dit : “je me demande à combien de femmes ils ont accordé des prêts et combien de ces femmes étaient noires ?”

En plus, il y a aussi souvent la charge des enfants qui retombent sur elles. J’aimerais bien débloquer des fonds pour faire des études sur leurs challenges au quotidien. Je pense que c’est en étant spécifique, qu’on arrivera à trouver de vraies solutions. Pour résoudre un problème, il faut aller à la base. En travaillant pour trouver des solutions pour les personnes les plus discriminées, par capillarité, tout le monde finira par trouver des solutions qu’iel pourra s’approprier.


Tu continues à garder un lien fort avec les sphères étudiantes. Tu te souviens certainement d’une conférence organisée par l’IHECS en 2017 qui avait fait polémique ? Est ce que tu penses que cette conférence est le reflet d’un problème structurel de racisme et de manque de diversité dans les écoles de médias bruxelloises ou s’agit-il plutôt d’un cas isolé selon toi ? Pour rappel : Un ancien professeur de l'ULB  invité par l’IHECS avait, lors de sa conférence, multiplié les stéréotypes et raisonnements racistes et sexistes, en particulier sur la sexualité des femmes noires.

En fait, c’est compliqué de lever des problématiques de racisme car beaucoup de gens n’ont pas la bonne définition de ce que c’est le racisme. Pour certains, le racisme c’est dire “sale négresse” ou alors ils pensent que c’est un problème de génération. Alors que le racisme c’est un système, qui se transmet et s’incarne à travers des personnes mais c’est un système d’exotisation, de dévalorisation, d’invisibilisation, de stigmatisation,de projection de stéréotypes... C’est un système qui nous enlève toute notre individualité alors qu’on a des profils divers et variés, pleins de compétences, de connaissances et ce dans tous les secteurs. J’aime beaucoup cette phrase : “Être noir, c’est aussi vaste que le monde”.


Quels sont tes projets futurs et qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour la suite d’Entreprenoires ?

Mon objectif, après avoir été indépendante complémentaire, est de créer mon asbl. J’aimerais organiser des choses avec plus d’ampleur. Le but sur le long terme, c’est de faire des connexions avec des Entreprenoires d’autres pays : de la Caraïbe, du continent africain, de la diaspora en Europe, ... D’un point de vue plus “belgo-belge”, c’est d’avoir un bâtiment avec une boutique en face, des cuisines où les entrepreneures pourraient faire leur production. J’aimerais aussi qu’il y ait une crèche, un système d’école des devoirs et des personnes pour s’occuper de leurs enfants pendant qu’elles travaillent. Aussi, avoir des salles de réunions, organiser des formations, que leurs besoins soient au centre de tout. Ça serait incroyable.


Est-ce que tu as quelque chose à ajouter, un event à promouvoir, une page à conseiller ?

Il y a un lieu très important à Bruxelles et j’invite les gens à le faire vivre car c’est essentiel :  c’est la librairie Pepites Blues (Rue Anoul 30 à Ixelles). C’est une librairie afro avec des livres pour enfants, des essais, des tableaux. Ma recommandation c’est d’aller découvrir cet endroit, de découvrir des auteurs que vous ne connaissiez pas, de lire des histoires qui viennent du Ghana, du Rwanda, de la Martinique. Écouter des auteurs et des autrices qui parlent de sujets parfois douloureux, qui parlent d’avenir, de reconstruction du tissu social, d’estime de soi. Marie DaSilva était venue pour parler de son livre : Survivre au taff. Celestina (la gérante) est également professeure, c’est un réel engagement qu'elle fait. C’est un endroit où les gens viennent, se posent, écoutent, lisent, partagent, échangent. C’est important ce genre de lieux pour faire communauté.


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Merci beaucoup à Aurélie pour sa disponibilité, son engagement et la transparence dont elle fait preuve. Merci de lutter pour un avenir meilleur pour toustes. Hâte de découvrir la suite de ton aventure avec Entreprenoires !


Adelphement vôtre,

Mélanie





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