Janvier 2021
lire, autofiction, sexualité, janvier2021
Par Victoria

Cher journal


Des errances de pensées, de mots, de questions déposées sur un carnet. Écrire soulage. Chercher à comprendre ces sentiments, ces émotions qui traversent. Puis, surtout vivre ces émotions car elles sont belles. Accepter cette colère légitime d’une féministe qui voit son monde s’écrouler. Parler d’espoir aussi, car comprendre est le premier pas pour changer les choses. Le monde sera beau.


Temps de lecture : 3 minutes



CHAPITRE 1 : Cher Journal,

Je fais un bilan sur ma vie. Apparemment, c’est bien de faire des bilans. Dans les livres, ils disent qu’il faut faire des bilans pour identifier les rêves qu’on n’a pas encore réalisés, cibler nos fameux plaisirs pas encore comblés, et avoir de la gratitude.


Moi, j’ai bientôt la trentaine et je viens de me prendre des claques à la figure. Des claques de prises de conscience. J’ai été bernée jusque-là et je n’ai rien vu. Rien capté. En fait, moi qui pensais que mes amies et moi on était des femmes libres dans nos têtes et dans nos corps et qu’on était parfaitement libres de choisir, de faire ce qu’on voulait, je me rends compte que j’étais bien crédule. Maintenant, je me retrouve là devant mon carnet, à faire ce misérable constat qu'on ne maîtrise rien du tout. En tout cas, moi je ne maîtrise rien du tout.

Pourtant, j’aurais dû avoir la puce à l’oreille bien plus tôt.

Car tout de même, j’aurais bien dû me méfier quand on me faisait comprendre que coucher trop vite c’était être une salope ou que si je disais que j’avais envie de prendre mon temps, on me répondait que j’étais une prude naïve.

J’aurais dû me méfier quand on me disait de cacher mes seins sous un soutien-gorge. Parce que les seins qui tombent c’est moche et puis surtout parce que les seins qui se voient et les tétons qui pointent ça excite. 

J’aurais dû aussi me méfier quand je disais non et que c’était pris pour un oui.

J’aurais clairement dû me méfier en cours de français quand je voyais que dans un groupe s’il y avait trois filles et un garçon, c’était le garçon qui l’emportait.

J’aurais dû me méfier quand j’ai fait le choix de relations désastreuses : bras ouverts aux messieurs manipulateurs. Mais oui, allons-y donc !

J’aurais dû me méfier quand, en cours d’Histoire, j’apprenais que c’était seulement les hommes, les mâles virils, qui partaient à la chasse et allaient chercher la bouffe du dîner.

J’aurais dû me méfier quand mes parents ne voulaient pas que je joue au foot avec mon frère.

J’aurais dû me méfier quand je voyais ma mère et ses copines à la maison prendre le thé et mon père qui partait travailler.

J’aurais dû me méfier quand je voulais voler le petit top de ma mère de quand elle avait 20 ans car ce petit top me moulait là où il fallait. Parce qu’en même temps, ces seins qu’on me demandait de cacher parce que trop vulgaires, plaisaient aussi. Je n’y comprenais rien. Mais comme j’avais remarqué le petit clin d'œil de Paul au cours d’anglais, je me disais que ça valait le coup.

J’aurais dû me méfier quand on me disait de ne pas mettre cette jupe courte.




J’aurais dû me méfier quand je voyais ma peau boutonneuse et que je me détestais à cause de ça car je ne ressemblais à rien. Qu’en ne ressemblant à rien, je n’allais clairement pas réussir.

J’aurais dû me méfier quand ma mère me disait de ne pas déranger mon père car « il est en réunion et qu’il parle affaire ». Apparemment ma mère, elle, ne parlait jamais de choses sérieuses.

J’aurais dû me méfier quand on me disait « T’es jolie, tu devrais te mettre plus en valeur ».

J’aurais dû me méfier quand ce jour-là où j’ai décidé de « me mettre en valeur », on m’a dit que j’étais maquillée comme une voiture volée.

J’aurais dû me méfier le jour où j’ai offert ma virginité à quelqu’un que j’avais rencontré la veille parce que je me disais que ça allait me libérer. Toutes mes amies l'avaient fait. Je les voyais belles. Je les voyais changées. Je me disais que ça me ferait le même effet. Et puis ce gars avait farouchement envie de moi alors autant y aller. Et puis « offrir sa virginité », quelqu’un s’est déjà posé la question sur cette expression ? On offre ce truc comme un cadeau ?

J’aurais dû me méfier quand ma mère me disait « fais attention dans la rue ».

J’aurais dû me méfier quand on me disait d’être belle mais de « pas trop la ramener non plus ».

J’aurais aussi dû me méfier quand j’attendais le prince charmant venir me réveiller.

J’aurais dû me méfier quand le collègue de mon père venait à la maison et disait « elle est mignonne votre fille ».

Pour le chapitre II, c’est par ici


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