L’émancipation par le voyage – « On se lève, et on se casse » ?




Nous sommes nombreuses et nombreux à rêver de voyage. Mais, même aujourd’hui, en 2022, ce rêve n’est pas accessible de manière égalitaire. Cela part d’une histoire ancienne du rapport de l’humanité au voyage, notamment à travers l’imaginaire et les récits de celui-ci, mais aussi de l’attitude que prennent les autres face aux velléités d’ailleurs qui ne sont pas les mêmes si on est un homme ou une femme.

Juillet 2022 ◊ Par Mathilde ◊ lire, dossier4




« Voyager pour une femme, c'est une mise à feu, de toutes les interdictions, de toutes les injonctions ». Voici le message puissant que l’autrice Lucie Azema veut nous laisser méditer à la fin de la lecture de son ouvrage Les femmes aussi sont du voyage. L’émancipation par le départ.

Dans son livre, la jeune femme, qui a elle-même beaucoup voyagé seule et vécu à l’étranger, notamment en Inde et en Iran, explore la question de la place des femmes dans le voyage, qu’elles soient elles-mêmes voyageuses ou objet de quête par le voyageur (bien souvent des hommes).

« La polarisation des rôles ‘masculin’ et ‘féminin’ s'étend à la sphère du voyage, mais cette question de l'accès des femmes au voyage et à l'aventure demeure, de façon surprenante, un champ sous-exploré des études féministes », commence-t-elle ainsi par rappeler. « Elle est pourtant essentielle : voyager et écrire sur ses voyages, c'est user de sa liberté de mouvement, se réapproprier les récits du monde, en même temps que son propre récit, proposer une autre réalité face à celle dépeinte par un masculin autoproclamé comme ‘neutre’. »

Très documenté, le texte est riche d’anecdotes historiques et personnelles de voyageurs et de voyageuses. On y découvre ainsi des exploratrices et des femmes qui ont parcouru le monde, parfois à des époques où c’était bien plus compliqué que maintenant. « Les grandes voyageuses de l'histoire sont les femmes qui ont pu échapper à l'éducation sexiste que préconisait leur époque ».

Plusieurs chapitres abordent aussi des sujets connexes, comme les schémas coloniaux et patriarcaux qui se reproduisent aussi dans les manières de voyager et d’en faire le récit. Divisé en deux parties : « être libre de voyage » et « être libre pour voyager », l’essai mélange réflexions philosophiques, analyses sociologiques et bien évidemment positions féministes.

La deuxième partie explore la question du voyage solitaire et nous invite à réfléchir sur des questions essentielles que sont la nécessité de « s’appartenir » et « reprendre sa place ».  L’autrice-voyageuse aborde inévitablement la question de la sécurité, qui cache plus de choses qu’on ne le croit.  « C'est ce décalage entre la réalité et les mises en garde, entre ce que je vivais et les injonctions sécuritaires que je recevais (complètement démesurées en comparaison de celles données à mes homologues masculins) qui a fait germer en premier l'idée de ce livre », écrit-elle.

En prenant cette thématique du voyage, on comprend à quel point le combat pour l’égalité des genres concerne tous les domaines de la vie. Elle rappelle ainsi que les « transmissions inconscientes d'injonctions millénaires prononcées contre les femmes afin que celles-ci se sédentarisent et trouvent leur salut dans l'espace clos du foyer et uniquement au sein de celui-ci », explique pourquoi peu de femmes osent encore se saisir du voyage comme une voie d’émancipation.

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EXTRAITS


« Les femmes sont historiquement des êtres captifs et c'est en cela que le voyage est l'un des moyens les plus symboliques et les plus forts pour s'affranchir de leurs conditions. Voyager pour une femme constitue un acte fondateur : c'est dire ‘Je vais où je veux, je ne suis qu'à moi’ ».


« En voyage, l'indépendance et l'autonomie sont des cartes maîtresses : la voyageuse ne peut - et ne doit - compter que sur elle-même. Elle doit s'aligner sur ses propres désirs, sa propre temporalité […] la voyageuse n'appartient à rien ni à personne ».


« Il existe une réelle difficulté à admettre qu'une femme puisse consentir de manière pleine et entière à sa solitude. Cette réticence fait de la femme seule un être étrange, sur lequel la société jette un regard empreint de suspicion, elle est ‘incomplète’. »


« J'ai oublié qui j'étais, qui je pensais être, […] j'ai ouvert de nouvelles portes en moi, j'ai volé en éclats 1000 fois. Cela peut sembler terrifiant et sans aucun doute ça l'est. La liberté est terrifiante, être radicalement soi, sans transiger, sans dépendre, d'un genre, d'un lieu, d'un milieu, d'une culture, aller à leur rencontre, est terrifiant. Voler en éclats, pour être soi, pour être libre, au moins une fois avant de mourir est terrifiant. »


« Occupez la place qu'on aurait prise facilement si l'on avait été un homme, voilà le but d'une approche féministe du voyage ».


Pour aller plus loin : écoutez Lucie Azema en interview.




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