« S’afficher avec un slogan féministe est un acte réfléchi car ce mouvement est encore mal perçu dans la société »




Décrit comme un vêtement indispensable dans son dressing par les magazines spécialisésdans le monde de la mode, les t-shirts à message fleurissent dans les boutiques de prêt-à-porter. Si les inscriptions sont diverses et variées, vous n’avez sûrement pas pu passer à côté d’une certaine tendance : les t-shirts à message féministe !
Alors les marques : opportunistes ou réellement engagées ?

Mars 2021 ◊ Par Céline lire, féminisme


Ces t-shirts qui s’affichent avec des messages féministes sont donc disponibles partout et à tous les prix, autant dans les magasins de fast-fashion que chez les marques de luxe ou encore les boutiques plus éthiques. Acheter un t-shirt à message féministe semblerait donc devenir un acte anodin, tant il est accessible. Plusieurs questions se posent.

1. Le féminisme, un mouvement tendance, facile à porter ?


La manière dont nous nous habillons donne une première impression sur notre personnalité. C’est la façon de nous présenter aux autres, au monde. Notre style demeure un outil de communication, que l’on y accorde un soin particulier ou non. Cela peut nous permettre de nous affirmer et de montrer ses goûts et sa vision du monde. Les t-shirts à messages peuvent refléter des opinions. Acheter un t-shirt à slogan féministe et le porter dans la rue n’est donc pas si anodin et si simple. « S’afficher avec un slogan féministe est un acte réfléchi car ce mouvement est encore mal perçu dans la société », explique Alicia Novis, chargée de communication dans l’ONG Le Monde selon les femmes. Cependant, le féminisme semble être de plus en plus en vogue et chaque marque en dévoile au moins un t-shirt.

Mais porter un t-shirt à messages féministes fait-il forcément de nous des féministes ? Pour Alicia Novis, « L’engagement et le militantisme peuvent prendre différentes formes. Le fait de porter ce genre de t-shirt est un acte individuel. Si les personnes sont familières aux manifestations, par exemple, cela peut revêtir un caractère plus collectif à la lutte. Ce qui m’intéresse, c’est le passage de l’engagement individuel au collectif, pour réellement faire changer les choses. »

2. Les marques, opportunistes du mouvement féministe ?

« Les grandes marques se sont toujours inspirées du contexte environnant pour vendre », souligne Alicia Novis. En effet, leur objectif premier est forcément le bénéfice. « Les marques vendent du rêve, veulent fasciner et racontent des histoires auxquelles le public veut adhérer », précise-t-elle. Les marques qui vendent des t-shirts à message féministe sont donc, pour la plupart, opportunistes et ne dégagent pas un réel engagement. Faut-il se contenter quand même d’avoir une certaine visibilité ou cela ne coûte pas si aucun bénéfice des ventes n’est relié à une association ? « La vision des marques n’est pas du tout politique et transformative socialement, mais les marques ont une large audience et cela peut permettre de toucher un plus grand public. Les t-shirts rendent le message visible et donc cela sert la cause, mais il ne faut pas perdre de vue que nous vivons dans une société capitaliste. On pourrait penser à une collaboration intelligente et respectueuse avec la sphère militante », ajoute Alicia Novis.

3. Les marques, réellement engagées pour le féminisme ?

Certaines marques qui vendent ce genre de t-shirts versent une partie de leur bénéfice à des associations militantes. Par exemple, la marque « meufparis » qui se décrit comme « LA marque feel good pour les meufs d’aujourd’hui ! ». Pour chaque commande, 1€ est reversé à l’association française La Maison des femmes, qui accueille les femmes victimes de violences. En plus de ça, les t-shirts sont certifiés 100% coton bio et fabriqués en France, ce qui rassure sur les conditions de travail des personnes travaillant pour cette marque.

Qu’en est-il des marques de fast-fashion qui affichent fièrement des t-shirts à messages féministes mais dont la fabrication se fait dans des conditions inhumaines ? Les femmes, dans l’industrie du textile, représentent près de 80% de la main d’œuvre. Elles sont très peu payées, travaillent dans des conditions dangereuses, subissent des violences verbales et physiques qui peuvent mener jusqu’au viol. Mais bon « Girl power » quand même hein…

L’origine des messages féministes les plus connus


We should all be feminists

Repris par Dior en 2017, à l’occasion de la première collection de Maria Grazia Chiuri, We should all be feminists, vient d’un livre de Chimamanda Ngozi Adichie, auteure nigériane. Cet essai est une adaptation de la conférence TEDx éponyme de Chimamanda de 2012.

Cette phrase We should all be feminists signifie qu’être féministe n’est pas une insulte, mais plutôt une étiquette que tout le monde devrait adoptée. Le féminisme signifie défendre les droits des femmes, mais aussi encourager les hommes à avoir des conversations avec elles sur des sujets comme la sexualité, les rôles et l’apparence. Si tout le monde devient féministe, selon Chimamanda, la société sera plus inclusive et cela permettra à tout le monde de devenir ce qu’il·elle veut devenir sans se restreindre à un rôle imposé par son genre.


Girl power

Ce phénomène nous viendrait d’un mouvement musical punk rock dans les années 90, Riot Grrrl, qui pousse les femmes à créer leur propre musique et de faire savoir la complexité d’être une femme et se faire sa place dans la communauté punk rock ainsi que dans la société en général. A travers l’art et les médias, elles donnaient leur opinion sur le patriarcat, les violences conjugales, la sexualité et bien sûr, l’empowerment féminin. Par la suite, le mouvement a été repris par les Spice Girls, dans un registre plus pop, qui le prônaient également dans leur musique. Elles ont permis de rendre populaire ce slogan et de faire valoir le respect et la tolérance.


The future is female

En 1975, la première librairie pour femmes de New York, Labyris Books, sort le design original du t-shirt. The Future is Female est donc pour la première fois inscrit sur un t-shirt. Alix Dobkin, militante féministe lesbienne et musicienne, l’aborde fièrement sur une photographie prise par sa petite amie de l’époque, Liza Cowan. En 2015, la photographie est réapparue sur le compte Instagram @h_e_r_s_t_o_r_y qui célèbre la culture lesbienne, ce qui a donné l’idée à la dirigeante de la marque américaine OtherWild d’en refaire des t-shirts. Quand Hillary Clinton avait également déclaré The Future is Female pendant sa campagne pour la présidence américaine en 2017, cela a également poussé les ventes de ce t-shirt. Cependant, ce slogan est toutefois contesté. Prétendre que l’avenir est féminin mettrait de côté les hommes dans le combat pour l’égalité des genres, leur enlèverait toute responsabilité et insinuerait qu’il faudrait tendre vers la supériorité des femmes. Ce qui n’est pas l’objectif pour aller vers une société plus égalitaire.

Dans notre société capitaliste, le féminisme est bel et bien devenu un argument de vente. D’un côté, cela sert à la visibilité de ce mouvement partout et pour tou·te·s. De l’autre, il est important d’être conscient que c’est l’instrumentalisation d’une lutte. Certaines marques semblent sincères dans leur démarche et ont donc une légitimité plus grande de vente de t-shirts que celles qui n’accordent aucune importance au bien-être de leurs travailleur·se·s.

Quand on achète un t-shirt avec un message, il convient de se demander si l’ensemble de la démarche est cohérent.

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